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Dans un arrêt en date du 17 mars 2022, la cour d’appel de Colmar a adopté une solution très audacieuse quant à la validité du mandat de vente et l’opposabilité des conditions générales d’une maison de ventes aux enchères.

Les faits

En 2012, un particulier a pris contact avec une société de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (SVV) afin de mettre en vente aux enchères des fragments de vitraux datant de la fin du XIIIe siècle.

Ces fragments provenaient de l’église des Dominicains à Colmar. Ils avaient été déposés lors de la désaffection au culte de cet édifice après la Révolution française, puis réemployés lors de la restauration de l’église Saint-Martin dans les années 1820-1840, puis à nouveau déposés. Le vendeur disait les tenir des ayants droit d’un ancien archiviste de Colmar.

Le 10 juillet, la SVV a écrit au vendeur pour lui donner l’estimation des vitraux, solliciter son autorisation pour procéder à la demande du certificat d’exportation, lui annoncer une mise en vente le 9 novembre et lui communiquer ses conditions générales de vente (CGV).

Le 12 juillet, la SVV remerciait le vendeur de sa confiance et lui adressait un mandat de vente.

Le mandat de vente n’a cependant jamais été signé.

Le 30 août, le vendeur a remis les vitraux à la SVV contre récépissé. Les vitraux ont alors été inscrits au catalogue de la vente aux enchères prévue le 9 novembre.

Mais, le 16 octobre, le ministère de la Culture, saisi d’une demande de certificat d’exportation, a déclaré que ces biens appartenaient au domaine public de la ville de Colmar, empêchant la vente.

Le vendeur a cependant refusé de restituer les vitraux à la ville de Colmar. Quant à la SVV, elle a refusé de les rendre au vendeur en raison de l’incertitude existant sur leur propriétaire.

La Ville de Colmar a ensuite introduit une action en revendication, accueillie par le tribunal de grande instance de Colmar le 18 novembre 2019, puis par la cour d’appel de Colmar le 17 mai 2022, lesquelles juridictions se sont également prononcées sur des demandes d’indemnisation présentées par la SVV qui se prévalait de l’existence d’un mandat et de ses CGV.

La restitution des vitraux à la Ville de Colmar

Ce volet de l’affaire nous intéresse moins, car il ne porte pas sur l’organisation des ventes aux enchères.

Retenons simplement que, le vendeur ne démontrant pas que les vitraux auraient été régulièrement sortis du domaine public mobilier, et l’action en revendication de la Ville de Colmar n’étant pas prescrite s’agissant de biens publics donc inaliénables et imprescriptibles, la commune était fondée à les revendiquer. Le vendeur a donc été condamné à restituer les vitraux à la Ville de Colmar.

L’existence d’un mandat de vente et l’opposabilité des CGV

Les vitraux ont été remis le 30 août à la SVV, qui les a conservés jusqu’à ce que le litige sur leur propriété soit définitivement tranché.

La SVV réclamait alors au vendeur le paiement de deux indemnités :

une indemnité du fait du retrait des biens de la vente ;
une indemnité pour frais de conservation pendant toute la durée de la procédure judiciaire.

Ces deux indemnités étaient prévues aux CGV de la SVV. Le vendeur s’opposait à leur paiement au motif qu’il n’avait signé ni les CGV ni le mandat de vente.

La Cour a reconnu cette absence de signature.

Mais elle a dégagé un faisceau d’indices concordants démontrant l’accord du vendeur pour une mise en vente des vitraux, et donc l’existence d’un mandat de vente :

10 juillet : communication par la SVV au vendeur de ses CGV lors de la confirmation de la mise en vente
12 juillet : envoi d’un mandat de vente au vendeur
16 juillet : dépôt des demandes de certificat d’exportation, supposant l’accord du vendeur
30 août : remise des vitraux par le vendeur contre un récépissé de dépôt
Absence d’opposition du vendeur à l’inscription des vitraux au catalogue de la vente
15 et 19 octobre : envoi par le vendeur de deux courriels à la SVV évoquant la vente à venir

La Cour en déduit alors que le mandat de vente implique l’acceptation par le vendeur des CGV portées à sa connaissance avant la remise des vitraux. Elle condamne en conséquence le vendeur à payer à la SVV les indemnités prévues aux CGV.

Une solution critiquable

Si l’existence d’un mandat de vente n’est pas contestable, on peut reprocher à la Cour sa conclusion lapidaire quant à l’acceptation des CGV par le vendeur :

« En l’état de ce faisceau d'indices concordants, le tribunal a pu considérer, à bon droit, que nonobstant l'absence de signature du mandat de vente qui lui avait été transmis, la preuve était suffisamment rapportée de l’existence d'un mandat de vente confié par [le vendeur] à la [SVV], impliquant acceptation des conditions générales de vente de cette dernière dont il ne contestait pas qu’elles avaient été portées à sa connaissance avant la remise des vitraux »

Les tribunaux s’attachent habituellement à vérifier que l’acceptation des CGV est expresse et non équivoque.

Ici, la vérification est pour le moins expéditive. La Cour se montre particulièrement bienveillante envers une SVV qui a été au contraire négligente en ne s’assurant pas que le mandat de vente était signé.

Ce n’est pas tant la décision de la Cour d’octroyer des indemnités à la SVV qui est critiquable, que le fondement utilisé pour octroyer ces indemnités. Après tout, la SVV a subi des préjudices en devant renoncer à la vente des vitraux et en devant engager des frais de conservation. Mais ces préjudices auraient pu être évalués in concreto sans que soient appliquées les modalités de calcul prévues aux CGV.

Que faire en cas de revendication par un tiers ?

Cette décision rappelle par ailleurs que les SVV peuvent se retrouver confrontées à la situation dans laquelle un vendeur leur remet un bien dont il est supposé propriétaire, mais qu’un tiers revendique avant la vente.

Dans la présente espèce, la SVV a refusé de restituer au vendeur les vitraux alors que ce dernier les réclamait, occasionnant des frais de conservation. Puis elle a réclamé une indemnité pour les frais de conservation qu’elle a été contrainte d’exposer pendant toute la durée de la procédure.

Le vendeur a des raisons d’être amer de devoir indemniser la SVV au titre de la garde des vitraux qu’elle a refusé de lui rendre !

Pour éviter de se trouver dans une telle situation, la partie la plus diligente aurait dû demander la mise sous séquestre des vitraux dans l’attente de l’issue définitive du litige quant à leur propriété. Il est surprenant que ni la Ville de Colmar, ni le vendeur, ni la SVV n’ait jugé utile d’en faire la demande (en tout cas l’arrêt commenté est muet à ce sujet). Différentes personnes auraient alors pu être choisies en qualité de séquestre (la Ville, le vendeur, la SVV ou un tiers), et la question des frais des conservation aurait été tranchée en amont par la juridiction désignant le séquestre. Cette démarche aurait évité toute mauvaise surprise pour le succombant au fond, en l’espèce le vendeur, et permis au séquestre, en l’occurrence la SVV, d’être rémunéré régulièrement plutôt qu’à l’issue de près dix ans de procédure.

 

Référence : CA Colmar, 17 mars 2022, n°19/05457

Auteur : Marine le Bihan, avocate au Barreau de Paris

 

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