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Dans l’affaire tant médiatisée opposant l’artiste conceptuel Maurizio Cattelan, représenté par la Galerie Perrotin, à son sculpteur-modeleur Daniel Druet, le tribunal judiciaire n’aura pas eu à prendre part au débat sur la paternité des droits d’auteur des œuvres imaginées par un artiste conceptuel, mais réalisées par un sculpteur en cire, balayant cette question dans le jugement rendu le 8 juillet 2022 en raison de l’irrecevabilité de l’action intentée par Daniel Druet, faute d’avoir assigné Maurizio Cattelan en personne.

Les faits

Daniel Druet, sculpteur, grand prix de Rome, sculpteur attitré du musée Grévin pour lequel il réalisa de nombreux personnages en cire, a commencé sa collaboration avec l’artiste Maurizio Cattelan en 1999.

Il a réalisé huit sculptures en cire pour l’artiste italien représenté par la Galerie Perrotin dont les plus emblématiques : la Nona Ora représentant le pape Jean-Paul II les yeux fermés, Him représentant un petit garçon à genoux dont le visage est celui d’Adolf Hitler, La Rivoluzione Siamo Noi ou encore Le Petit Cattelan de Rotterdam.

Dans les années 2000, Daniel Druet a demandé à la Galerie Perrotin de le créditer es qualité de sculpteur-réalisateur des œuvres en cire, sollicitant que « toute diffusion au sujet de (ses) œuvres mentionne (son) nom en tant que réalisateur des personnages de cire (cela au même titre que figure le nom du photographe, auteur des images qui sont diffusées ». Cette demande est restée vaine.

Lors de l’exposition « Cattelan, not afraid of love » organisée à la Monnaie de Paris en 2016/2017, Daniel Druet a demandé à l’institution publique de mentionner son nom pour les quatre œuvres exposées pour lesquelles il avait créé le personnage en cire. Encore une fois, cette demande est demeurée vaine.
C’est dans ces conditions que Daniel Druet a assigné la Galerie Emmanuel Perrotin et sa maison d’édition, la société Turenne Editions ainsi que la Monnaie de Paris en contrefaçons de droit d’auteur ; Maurizio Cattelan n’étant quant à lui attrait à la procédure que par la Monnaie de Paris qui l’a assigné en intervention forcée et en garantie au titre du contrat de partenariat, de prêt d’œuvre et de cession de droits conclu avec l’artiste.

Si dans les années 2000, Daniel Druet ne revendiquait que la paternité des œuvres réalisées en cire, il revendiquait dans le cadre de cette procédure la qualité d’auteur exclusif des huit œuvres précitées, dans leur entièreté. Or les œuvres de Maurizio Cattelan ne se limitent pas aux seules effigies en cire. Elles doivent être prises dans leur intégralité, c’est-à-dire avec la mise en scène voulue par Cattelan, la position des statues, la composition…

Ainsi, faute d’avoir assigné l’auteur des œuvres sous le nom duquel les œuvres ont été divulguées, i.e. Maurizio Cattelan, les demandes de Daniel Druet ont été déclarées irrecevables, permettant au Tribunal d’éviter le débat initié en défense sur la paternité des œuvres dans l’art conceptuel.

La paternité des œuvres

Vingt ans après ses premières demandes en revendication de la paternité des œuvres réalisées en cire, Daniel Druet revendique désormais l’exclusivité des droits d’auteur sur huit œuvres réalisées pour le compte de Maurizio Cattelan et sous le nom duquel elles ont été divulguées.

Rappelons que l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre du seul fait de sa création d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » et que sauf preuve contraire, « la qualité d’auteur appartient à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée » (article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle)

Le tribunal relève à juste titre que les œuvres litigieuses sur lesquelles Daniel Druet revendique désormais la titularité des droits à titre exclusif ne sont plus les effigies en cire qu’il a sculptées à la demande de la Galerie Perrotin pour le compte de Maurizio Cattelan, mais les œuvres sous le nom duquel et telles que divulguées au public, i.e avec le choix de la mise en scène souhaitée par Maurizio Cattelan, avec le positionnement, mais également le dispositif scénique, l’éclairage,  la direction du regard voulu par ce dernier au sein des espaces d’exposition. 

Revendiquant la qualité d’auteur unique et exclusif des œuvres litigieuses, et non simplement la qualité de co-auteur d’une œuvre de collaboration ou d’une œuvre composite, il appartenait à Daniel Druet de démontrer sa qualité d’auteur.

Or les œuvres litigieuses ont toutes été divulguées sous le nom de Maurizio Cattelan, tant dans la presse qu’à l’occasion des expositions. Il est également incontestable que les œuvres ont été divulguées avec les directives précises de mise en scène données par Maurizio Cattelan.
Daniel Druet devait donc renverser la présomption légale de titularité des droits d’auteur.

L’irrecevabilité des demandes de Daniel Druet

Faute par Daniel Druet d’avoir renversé la présomption de titularité des droits d’auteur dont bénéficie Maurizio Cattelan, il ne pouvait pas revendiquer des droits visant à l’évincer de sa qualité d’auteur sans l’avoir assigné. 

Fort de ce constat, et sans s’être prononcé sur la question de la paternité des œuvres litigieuses, le tribunal considère que « faute d’avoir assigné en personne Maurizio Cattelan, auteur présumé, au préjudice duquel il revendique la titularité des droits sur les œuvres en cause, Daniel Druet doit être déclaré irrecevable en toutes ses demandes en contrefaçon de droits d’auteur ».

Le Tribunal souligne également que l’appel en garantie de Maurizio Cattelan par la Monnaie de Paris au titre des quatre œuvres exposées par cette institution ne crée aucun lien juridique entre Daniel Druet et l’appelé en garantie, rappelant la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. 1ère Civ., 15 mai 2015, n° 14-11.685).
L’intervention forcée de Maurizio Cattelan à cette instance ne crée davantage de lien juridique avec le demandeur principal.

Débouté de l’intégralité de ses demandes, Daniel Druet est condamné à verser 20 000 euros à la Monnaie de Paris ainsi qu’à la Galerie Perrotin au titre des frais irrépétibles.

Si ce procès a été très médiatisé et était présenté comme « le procès de l’art conceptuel » par la défense, il ne portait en réalité que sur la nature de la prestation d’un prestataire/ assistant d’artiste et le Tribunal ne s’est nullement prononcé sur la question de la protection par le droit d’auteur d’une idée ou d’un concept, ne jugeant que la question de la recevabilité de l’action du demandeur.
La portée de cette décision est donc … « minimaliste ».

Reste à savoir si Daniel Druet entend faire appel de cette décision ou repartir à zéro, en assignant l’auteur des œuvres litigieuses. Sans doute aurait-il intérêt à intégrer la notion d’œuvre de collaboration dans le périmètre des droits revendiqués afin que son éventuelle action ait une chance d’aboutir.

Affaire à suivre !

Référence : TJ PARIS, 8 juillet 2022, n°18/05382 ; Auteur : Béatrice Cohen, avocate au Barreau de Paris

 

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