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Le code de commerce prévoit l’annulation de la vente aux enchères d’un bien lorsque l’adjudicataire ne paye pas. Cette nullité intervient soit après mise en demeure de payer restée infructueuse, soit de plein droit au bout de trois mois. Elle tend à protéger le vendeur qui peut ainsi récupérer son bien, tout en conservant le droit de poursuivre l’adjudicataire défaillant. En aucun cas elle n’a pour objet de permettre à ce dernier de se dédouaner de son engagement. Développée par la jurisprudence, cette règle a été validée par l’article 10 de la loi du 28 février 2022 ; elle est désormais intégrée au code de commerce.

Une solution jurisprudentielle

Il nous faut revenir sur une affaire aux multiples rebondissements, qui a donné l’occasion aux tribunaux de se prononcer sur plusieurs questions intéressant les ventes aux enchères, notamment celle de la résolution de la vente en cas de défaut de paiement par l’adjudicataire.
Au cours de deux ventes volontaires de meubles aux enchères publiques organisées en 2007 et 2008, un acheteur a été déclaré adjudicataire de divers lots (des meubles de design des années 1950), mais ne les a pas réglés intégralement. Les vendeurs n’ont cependant pas remis les lots en vente sur folle enchère (on dirait aujourd’hui « sur réitération des enchères »).

L’opérateur de ventes volontaires, qui avait payé les vendeurs et se trouvait donc subrogé dans leurs droits, a alors engagé une action judiciaire afin de voir reconnaître le caractère parfait des deux ventes et condamner en conséquence l’adjudicataire au paiement des prix de vente. 

Pour sa défense, l’adjudicataire a opposé que les ventes étaient résolues, et qu’il n’était donc plus tenu de payer les prix. Son argument reposait sur l’article L. 321-14, alinéa 3, du Code de commerce qui disposait, dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits : « À défaut de paiement par l’adjudicataire, après mise en demeure restée infructueuse, le bien est remis en vente à la demande du vendeur sur folle enchère de l’adjudicataire défaillant ; si le vendeur ne formule pas cette demande dans un délai de trois mois à compter de l’adjudication, la vente est résolue de plein droit, sans préjudice de dommages et intérêts dus par l’adjudicataire défaillant ».

L’adjudicataire estimait que, dans le cas des ventes litigieuses de 2007 et 2008, en l’absence de paiement des prix dans les trois mois de chaque vente, et puisque les vendeurs n’avaient pas demandé la remise des biens en vente sur folle enchère, les deux ventes étaient résolues de plein droit et il n’avait donc plus rien à payer. Il est vrai que l’article L. 321-14, alinéa 3, du Code de commerce ne distinguait pas qui du vendeur ou de l’acheteur pouvait demander la résolution, sa rédaction étant pour le moins ambiguë : « la vente est résolue de plein droit ».

Cependant, la cour d’appel de Paris, dans son arrêt en date du 5 juin 2013 (RG n° 12/03315), a écarté cette argumentation, considéré que les ventes étaient parfaites, et condamné l’adjudicataire à en payer les prix. Jugeant que l’adjudicataire défaillant ne pouvait se prévaloir de sa propre inexécution, la cour a estimé qu’il n'était pas fondé à opposer utilement les dispositions de l’article L. 321-14, alinéa 3, du Code de commerce qui, s’il permet au vendeur non payé d’invoquer la résolution de la vente en cas de défaillance de l’adjudicataire, n’autorise cependant nullement l’acquéreur à se soustraire à ses obligations. La Cour a également fait une analogie avec l’article 1654 du Code civil qui réserve au seul vendeur la possibilité de demander la résolution de la vente au cas où l’acheteur ne paierait pas le prix.

La première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 10 décembre 2014 (n° 13-24.043), a validé cette analyse : « Attendu que la résolution de plein droit de la vente, prévue par l’article L. 321-14 du code de commerce, d’un bien adjugé, mais dont le prix n’a pas été payé par l’adjudicataire, en l’absence de demande de folle enchère dans le délai de trois mois de l’adjudication, est prévue au profit du seul vendeur ».

On ne peut qu’approuver cette solution, qui fait primer l’esprit du texte sur sa lettre. Car si l’article L. 321-14 du Code de commerce ne précisait pas explicitement que seul le vendeur pouvait demander la résolution, on ne pouvait imaginer que l’intention du législateur eût été de conférer ce droit également à l’adjudicataire. La sécurité des ventes aux enchères serait mise à mal si l’adjudicataire pouvait se soustraire à ses propres obligations en ne payant pas le prix d’une vente par ailleurs parfaite, sur le fondement d’un texte qui vise en réalité à protéger le vendeur. 

L’inscription de la solution jurisprudentielle dans la loi

Ni le rapport de mission sur l’avenir de la profession d’opérateur de ventes volontaires remis le 20 décembre 2018 par Madame Henriette Chaubon, conseillère à la Cour de cassation honoraire, et Maître Édouard de Lamaze, avocat et ancien délégué interministériel aux professions libérales, ni la proposition de loi visant à moderniser la régulation du marché de l’art déposée au Sénat le 7 février 2019 par Madame Catherine Morin-Desailly et plusieurs de ses collègues n’évoquaient la décision de la Cour de cassation précitée. 

C’est Madame Jacky Deromedi, rapporteur, qui, dans le cadre de l’examen de la proposition de loi, a déposé un amendement tendant à inscrire dans la loi cette jurisprudence selon elle « parfaitement équitable », suivant laquelle l’adjudicataire défaillant ne peut se prévaloir de la résolution de la vente, qui intervient de plein droit trois mois après l’adjudication si le vendeur n’a pas demandé que le bien soit remis en vente, pour se soustraire à ses obligations. Rappelant que la résolution de plein droit avait été prévue par le législateur dans le seul intérêt du vendeur, selon la Cour de cassation, elle a proposé que soit modifié l’article L. 321-14, alinéa 3, du Code de commerce « dans un souci d’accessibilité du droit ».

Cet amendement a été adopté, et l’article 10 de la loi n° 2022-267 du 28 février 2022 visant à moderniser la régulation du marché de l’art prévoit ainsi que l’article L. 321-14, alinéa 3, du Code de commerce est complété par la phrase suivante : « Ce dernier [l’adjudicataire défaillant] ne peut se prévaloir de la résolution de la vente pour se soustraire à ses obligations ».

Cette consécration légale d’une solution jurisprudentielle tout à fait judicieuse est bienvenue puisqu’elle permet de dissuader les adjudicataires peu scrupuleux et d’éviter un revirement, quoiqu’improbable, de jurisprudence.

 

Référence : Loi n° 2022-267, du 28 février 2022, visant à moderniser la régulation du marché de l’art, art. 10
Auteur : Marine le Bihan, avocate au Barreau de Paris
 

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