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Les véhicules de collection représentent une catégorie importante du secteur des objets de collection. Dans le monde des enchères, ce marché demeure un marché sectoriel fait de collectionneurs avertis et passionnés. Selon le rapport d’Hiscox de 2022, la France compte 356 930 véhicules de collection. Le chiffre d’affaires de cette catégorie pour 2022 s’élèverait à 4 milliards d’euros. 
Dans cette affaire, des particuliers ont hérité de motos de collection par succession. En 2015, ils mandatent un expert automobile pour en étudier leur valeur. À la suite de cette expertise, l’expert prend l’initiative de les mettre en relation avec un commissaire-priseur pour l’organisation d’une vente aux enchères programmée le 24 juin 2016.

Le 17 juin 2016, soit quelques jours avant la vente, les héritiers se rétractent. La société de ventes volontaires leur reproche alors d’avoir rompu abusivement les pourparlers. 

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes le 14 septembre 2022 est l’occasion pour les juges de rappeler les limites à la liberté de rupture des pourparlers. La cour explique en cela que la rupture est abusive en cas d’absence de motif légitime invoqué par l’auteur (I) ou en cas de mauvaise foi (II), ce qui n’a pas été relevé en l’espèce. 

I.   La nécessité d’un juste motif pour rompre les pourparlers 

En droit français, par application de l’article 1112 du Code civil « l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres ». Le corollaire de cette liberté est le risque d’abus de nature à engager la responsabilité délictuelle de l’auteur sur le fondement de l’article 1240 du code précité (C. civ., art. anc. 1382). 

Si ces règles sont aujourd’hui de droit positif, au moment du litige en 2016, le droit des contrats connaissait une imposante réforme. Le débat s’était ainsi cristallisé autour d’un conflit de lois dans le temps. 

Plus précisément, la société de ventes volontaires avait appuyé ses prétentions sur les articles 1382 et 1383 anciens du Code civil. A contrario, les héritiers affirmaient que les dispositions applicables sont celles issues de la réforme de 2016, soit les articles 1240, 1241 et 1112 du code précité. 

La cour d’appel de Rennes souligne d’abord que « la responsabilité découlant d'une rupture abusive de pourparlers précontractuels est une responsabilité délictuelle. La loi applicable en la matière est donc celle applicable à la date du fait dommageable ». En l’espèce, la date du fait dommageable était celle de la rupture des pourparlers, i.e. le 17 juin 2016.

Elle précise ensuite que l’ordonnance portant réforme des droits des contrats prévoyait des dispositions transitoires, son entrée en vigueur étant fixée le 1er octobre 2016. Par conséquent, la situation étant survenue sous l’empire de la loi ancienne, les textes applicables au litige étaient bien les dispositions invoquées par la société de ventes volontaires. 

La cour d’appel rappelle alors la substance de la règle de droit soulignant le principe de la liberté contractuelle : « le premier juge rappelle à bon droit le principe de la liberté contractuelle permettant à tout moment la rupture unilatérale des pourparlers. ». 

Il faut en déduire que seul l’abus dans l’exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers est réprimé et non la rupture liée à un juste motif. Selon la cour dans cette affaire, les héritiers s’en justifiaient. 

Effectivement, si le 17 mai 2016, lors de la séance photo des véhicules, un contrat a été remis à ces derniers précisant les conditions financières de la vente, celles-ci n’étaient pas clairement déterminées comme l’avançait la société de ventes aux enchères. 

D’ailleurs, la cour observe que « la seule remise de ce contrat type, ne traduit pas cependant, (…), l'absence de toute discussion postérieure quant aux modalités de la vente. ». 

Au soutien de leur prétention, les héritiers apportaient la preuve que le 13 juin 2016, ils avaient émis le souhait de modifier lesdites conditions financières du contrat. Prévoyant à l’initial, des prélèvements de 15 %, 5 % de frais d'expert, 20 % de TVA et de 3 % en cas de vente à un adjudicataire ayant enchéri par internet sur le montant de l’acquisition, cela a été amendé par la suppression des 3 % supplémentaires en cas de vente à distance et l’augmentation des frais d'expert à 6 % TTC. 

En outre, les juges notent que jusqu’au 15 juin, les termes du contrat étaient encore en discussion sur le prix de réserve de 2 à 3 motos. 

N’ayant pas pu obtenir un contrat complet au 17 juin 2016, ces derniers justifiaient dès lors d’un juste motif dans la rupture des pourparlers avec la société de ventes volontaires, et ce, peu importe le fait que cette rupture intervient quelques jours avant la vente.

Néanmoins, la société de ventes aux enchères poursuivait également son argumentaire sur la mauvaise foi des vendeurs.  

II.  L’importance de la bonne foi dans la rupture des pourparlers 

L’article 1104 du Code civil met en lumière l’importance de la bonne foi dans les contrats énonçant que ces derniers « doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ».  S’il en est ainsi dans les accords valablement formés, il en est de même dans les discussions qui leur sont préalables. En ce sens, l’article 1112 précité consacrera en 2016, le principe de la bonne foi à propos des pourparlers.

En l’espèce, même si la disposition n’était pas applicable au litige, la jurisprudence avait d’ores et déjà établi la mauvaise foi comme source de rupture fautive dans les relations précontractuelles [1]. 

Ainsi, la société de ventes aux enchères arguait de la mauvaise foi des héritiers au motif que ces derniers ont profité de l'effet publicitaire de la vente programmée, pour ensuite tenter de vendre les véhicules visés sur un site d'annonces.

La cour d’appel a répondu sur ce point que ces faits postérieurs étaient sans incidence et que « leur bonne foi au moment de la rupture des pourparlers ne saurait être remise en cause par le fait qu'ils ont fait paraître en août 2016 une annonce aux fins de vente de certains des véhicules ». 

La rupture des pourparlers par les propriétaires des deux-roues n’était donc pas fautive. 

Débouté de ses demandes, la société de vente aux enchères a en outre été condamnée à verser aux héritiers la somme de 4 500 euros au titre des frais de procédure.

La notion de bonne foi demeure à géométrie variable car dépendante en réalité de l’appréciation souveraine du juge qui déterminera a fortiori si le cocontractant, en fonction de son comportement, a rompu ou non les négociations avec bonne foi.

Plus largement, cette décision de la cour d’appel de Rennes n’est pas novatrice et s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel constant. La Cour de cassation avait jugé le 20 mars 2014[2], au sujet d’une reprise de clientèle entre deux architectes, que la rupture des pourparlers fondée sur l’absence d'accord entre les parties n'était pas considérée comme fautive.  

En toutes hypothèses, il est rappelé que les maisons de vente aux enchères sont tenues à une obligation d'information complète et précise sur l'ensemble des sommes susceptibles d'être imputées sur les prix d'adjudication. Il est donc fortement recommandé aux sociétés de ventes de définir très clairement les conditions financières de la vente avec les vendeurs des lots avant d'engager des frais dans l’organisation de la vente (séance de photos, frais de transport, publicité…).

 

Auteur : Béatrice Cohen, Avocate au Barreau de Paris, Cabinet BBCAVOCATS

Réf. CA Rennes, 14 septembre 2022, n° 19/02235

[1] Cass. com., 18 janvier 2011, n° 09-14.617.
[2] Cass. civ. 1, 20 mars 2014, n° 12-28.318.
 
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